Les critères de durabilité : un nouveau paradigme pour l’octroi de crédit.
Face au changement climatique et à l’évolution des enjeux environnementaux, les états, les institutions financières ainsi que les entreprises œuvrent de plus en plus en faveur de la transition énergétique au travers de plusieurs mécanismes dont les financements durables. On assite de ce fait à une émergence de l’usage d’instruments financiers destinés à soutenir des projets ayant un impact positif sur la société et l’environnement.
Parmi ces pratiques, on retrouve le concept du prêt vertueux, qui est un financement accordé à des projets ou entreprises qui affectent positivement l’environnement ou la société, tout en respectant des critères stricts de durabilité et de responsabilité. Ce type de financement durable représente une véritable aubaine et une opportunité fondamentale à l’accélération de la transition durable. Toutefois, si l’aspect « vertueux » de ces crédits est indéniablement attirant, il n’est pas exempt de défis.
Les critères de durabilité aussi appelés critère ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), sont un ensemble de critères utilisés pour évaluer l’engagement des entreprises en faveur d’opérations durables. Ils permettent de promouvoir des initiatives alignées sur les objectifs de développement durable tout en réduisant les risques associés aux enjeux climatiques, sociaux et éthiques.
Les critères ESG examinent trois dimensions :
En publiant en 2020 son guide dédié aux risques climatiques, l’Autorité Bancaire Européenne (EBA) a introduit de nouvelles règles concernant l’octroi et le suivi des crédits en évoquant ses attentes prudentielles en ce qui concerne la gestion des risques environnementaux. Les institutions financières se doivent désormais donc de mettre en œuvre des dispositifs et procédures internes nécessaires à l’intégration des facteurs ESG dans leurs politiques de gestion du risque de crédit.
L’intégration des critères ESG dans les décisions de crédit permet aux institutions financières d’identifier les risques liés à des enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance, qui pourraient affecter la solvabilité d’un emprunteur ou la rentabilité d’un projet à long terme. Cette approche renforce également la résilience des investissements en favorisant des pratiques durables et responsables.
En mettant en place des politiques qui favorisent le verdissement de prêts accordés aux entreprises, les banques s’offrent l’accès à de nouveaux marchés. En effet, elles peuvent augmenter leur part de marché de manière stratégique et élargir leurs offres de produits à l’endroit de nouveaux clients pour lesquels les activités sont orientées vers des secteurs influencés par la transition énergétique. Concrètement, l’intégration de prêts verts contribuent à la diversification des portefeuilles de crédit bancaire, réduisant ainsi leur sensibilité à des risques financiers spécifiques.
De plus, les prêts verts favorisent la résilience des banques face aux risques physiques et de transition. Sur le risque de transition, le financement de projets verts par les banques réduit leur exposition à des secteurs à forte intensité de carbone considérés comme vulnérables à la monté des nouvelles exigences réglementaires d’ordre environnementale. Par exemple, la banque de France affirmait en 2019 que le financement de projets d’énergie renouvelable plutôt que de centrales à charbon évite aux banques les risques associés à des politiques de réduction des émissions de carbone, comme des taxes sur le carbone ou des restrictions sur les émissions. De même, l’octroi de prêts orientés vers des projets résilients aux phénomènes climatiques extrêmes peut réduire les pertes financières dues au risque physique. C’est le cas par exemple du financement bancaire d’un projet de mise en place de systèmes d’irrigations durables dans le secteur agricole. Dans le secteur immobilier, un crédit immobilier offrant un taux d’intérêt réduit aux logements ayant une bonne notation DPE (Diagnostic de Performance Energétique) contribuera à l’atténuation et à la prise en compte de ses risques de durabilité dans les portefeuilles bancaires.
Par ailleurs, l’intégration de critères de durabilité dans les pratiques de prêts bancaires peut permettre également aux banques de bénéficier d’avantages fiscaux par le mécanisme de subventions publiques que les gouvernements peuvent engager pour la décarbonation énergétique. Ces incitations dites « vertes » peuvent en effet se traduire en crédit impôt pouvant réduire le coût du capital pour les banques et améliorer la rentabilité des projets verts. Par le financement de projets durables, les banques améliorent tout autant leur « brand marketing » en vue de réduire le risque de réputation pouvant affectés certains projets controversés.
Malgré les multiples avantages que peut offrir l’intégration des critères de durabilité dans le processus d’octroi, ils posent également d’énormes défis pour le business des banques. En effet, les crédits verts peuvent être davantage plus risqués que les prêts dits « bruns ». En effet, les prêts durables induisent à court terme un risque de transition soudain et brutale lorsque les politiques et les exigences réglementaires ne permettent pas de gérer leur prise en compte dans le processus d’octroi. Dans le secteur de l’industrie automobile, les politiques impliquant un changement technologique avec le passage aux moteurs électriques obligent les entreprises exerçant dans ce domaine à s’adapter rapidement ; ce coût d’adaptation supplémentaire peut entrainer un défaut de paiement auprès des banques si celui-ci n’est pas pris en compte dans le modèle économique de ces entreprises. De même, le marché des matières premières écologiques étant volatiles pour des motifs parfois géopolitiques (le prix des panneaux solaires par exemple), le financement de projets verts peut s’avérer sensible aux incertitudes et conjonctures économiques à l’échelle internationale.
En outre, les projets durables ont une rentabilité à long terme. A titre illustratif, les rapports d’études sur des projets d’investissements verts réalisés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) a prouvé que le financement d’un projet de décarbonation des infrastructures engendre en moyenne des taux de rentabilité variant entre 5% et 15% sur un horizon allant de 10 à 30 ans. De ce fait, les banques peuvent subir à court terme des pressions de leurs actionnaires en ce qui concerne leurs marges bénéficiaires.
Un autre défi majeur que pose la prise en compte de la transition durable dans l’octroi de crédit est le phénomène du « greenwashing ». Depuis 2022, les autorités européennes pour la surveillance prudentielle (ESAs) œuvrent pour l’élaboration d’un cadre de surveillance harmonisé de lutte contre les acteurs qui utilisent frauduleusement l’argument écologique à des fins de marketing ou au bénéfice d’obtention de prêts bancaires. Ce mécanisme trompeur en vue d’acquérir des financements verts attractifs pourrait conduire les banques à investir dans des projets risqués ne répondant à des normes écologiques.
Face à cette ambivalence qu’implique l’intégration des critères ESG dans l’octroi de crédit, un effort consolidé entre les différentes parties prenantes est capital pour assurer la maitrise du risque climatique pour les banques tout en assurant la rentabilité des projets durables pour les investisseurs.
Le premier axe d’alignement consistera à standardiser les critères ESG, leur certification et leurs méthodologies de notations. La taxonomie verte européenne constitue un point de départ et d’encrage de cette classification. Ensuite, il est essentiel de définir des exigences précises quant à la mesure objective et fiable des dimensions intégrées dans les critères de durabilité. Il est d’autant plus urgent de clarifier et d’harmoniser ces critères de durabilité que cela contribuerait à lutter contre le « greenwashing » qui inhibe les différents efforts réalisés. De fait, il faudra renforcer et suivre l’application des standards et réglementations européennes sur la divulgation des informations relatives à la durabilité en occurrence le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) entrée en application en mars 2021 ou encore, les directives de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) mise en application en 2024 et qui retracent les recommandations sur le reporting extra-financier.
Ensuite, il faudra poursuivre le renforcement des exigences réglementaires en faveur de la prise en compte des risques environnementaux dans la gestion du crédit. La mise en œuvre en 2025 du paquet bancaire de l’Union Européenne (CRR III / CRD VI) dont le cadre révisé a été officiellement publié le 19 juin 2024 offre l’opportunité d’accélérer cette gestion du risque climatique. Pour ce faire, les institutions financières doivent travailler efficacement à anticiper le risque de durabilité par la réalisation des exercices de tests de résistance climatique, à désagréger les scénarios climatiques de manière à les adapter à leurs portefeuilles spécifiques et sectoriels. De même, l’EBA pourrait évaluer la possibilité de « verdir » les pondérations du risque de défaut supportés par les fonds propres bancaires en ajustant les coussins réglementaires en faveur des actifs verts.
En conclusion, l’intégration des critères de durabilité dans le processus d’octroi de crédit peut efficacement orienter les financements vers des projets écologiques. Cependant, cela peut entraîner des distorsions dans l’évaluation des risques de crédit lorsque ces risques environnementaux ne sont pas anticipés et maitrisés par le système financier. Alors que le monde continue de relever les défis du changement climatique, il s’avère donc essentiel de trouver un équilibre entre la promotion des investissements verts et la préservation de la stabilité financière.