De MiCA au GENIUS Act : comment les américains rattrapent le train de la réglementation

Hubert de Vauplane, avocat pour le cabinet Morgan, Lewis & Bockius nous apporte un éclairage détaillé sur le sujet.

L’administration Trump enchaîne les actions qui divisent l’opinion internationale et alimente les débats. Concernant l’écosystème crypto, le gouvernement avance de façon inédite avec la proposition d’une réglementation du marché des crypto-actifs. Quels en sont les contours ? Quel est son objectif et quelles en sont les retombées pour le marché européen, qui continue à chercher son propre équilibre ? Autant de questions auxquelles Hubert de Vauplane, avocat pour le cabinet Morgan, Lewis & Bockius, apporte un éclairage détaillé.

 

MiCa fait à peine son arrivée qu’un coup de tonnerre résonne aux USA avec l’annonce d’une nouvelle réglementation pour appuyer le projet de souveraineté américain : pouvez-vous nous en dire plus, en faisant la part entre les idées reçues et la réalité ?

L’arrivée de l’administration Trump est parfois vue comme une déréglementation de secteurs entiers de l’économie. En matière de crypto-actifs et compte tenu des positions très favorables à cette classe d’actifs prise par le président Trump pendant la campagne électorale américaine, certains ici en Europe ont pu indiquer que ce secteur serait non régulé. Il n’en est rien. Au contraire. Le Congrès américain s’apprête à discuter de différentes propositions pour réguler les activités de crypto actifs aux Etats Unis. 

Ainsi, le 4 février il a été présenté un projet de loi bipartisan (républicain et démocrate, ce qui reflète un consensus et augmente les chances d’adoption) en vue de réguler les stablecoins (GENIUS Act). Plus largement, la SEC a mis en place début février une Crypto Task Force qui, avec l’appui du Congrès et de la CFTC, doit définir un cadre réglementaire général pour les actifs numériques.

Toujours du côté de la  SEC, plusieurs signaux montrent qu’elle agit déjà en faveur des actifs numériques depuis le changement de son président, conformément aux voeux du président Trump :
1) en formant, le 21 janvier 2025, un groupe de travail sur la crypto-monnaie pour promouvoir l’innovation.
2) plus récemment, en rebaptisant l’ancienne Crypto Assets and Cyber Unit en une nouvelle Cyber and Emerging Technologies Unit pour « débusquer ceux qui cherchent à abuser de l’innovation pour nuire aux investisseurs et diminuer la confiance dans les nouvelles technologies ».

Ces développements montrent que la SEC se concentre désormais moins sur les crypto-monnaies et davantage sur les fraudes liées à la cybersécurité. Plus fondamentalement, la SEC favorise l’innovation dans ce secteur. 

 

Les américains cessent donc d’appliquer une réglementation punitive, qui agit sur le mode de la jurisprudence, et semble s’inspirer du modèle européen, qui met en place des cadres précis souvent décrits comme des freins à l’innovation. Que dire de ce changement de mindset qui se met en place aux USA ?

En effet, jusqu’à présent le secteur des crypto-actifs était principalement régulé par les sanctions prononcées par la SEC. On appelle cela Enforcement regulation. C’est à dire que les acteurs de ces activités ne connaissaient pas les règles applicables à l’avance puisque au fur et à mesure que la SEC lançait des actions judiciaires, ils découvraient ce qu’ils avaient le droit de faire ou de ne pas faire. 
Depuis 2014, la SEC a ainsi poursuivi en justice plus d’une trentaine d’acteurs, des plus connus aux émetteurs inconnus d’ICO (Initial Coin Offering).  La liste des cas de poursuites engagées est impressionnante et très instructive. La situation est toute différente au sein de l’Union européenne. Au point d’ailleurs que lors de débats et auditions organisés par le Sénat américain en février autour de ce que pourrait être une réglementation américaine en la matière, le Règlement MiCA est montré comme un modèle par certaines personnes auditionnées !
En effet, en Europe, la Réglementation MiCA apporte une prévisibilité et une clarté pour les acteurs, même si certains critiquent cette réglementation pour avoir été pensée et adoptée trop vite, à un moment où le législateur ne disposait pas d’assez d’éléments d’information pour proposer une réglementation ad hoc. Il est exact de ce point de vue que le modèle MiCA est celui des marchés financiers et de la réglementation MiF dont il est très largement inspiré. L’avenir dira si cette manière de réguler était la bonne. Surtout si la future réglementation américaine diffère de façon substantielle de la réglementation européenne. Car il est loin d’être sûr que le législateur américain s’inspire de cette réglementation.

 

Est-ce que cette nouvelle stratégie américaine peut avoir une incidence sur le stablecoin ? Ce dernier peut-il fragiliser l’eurocoin ?

Le Président Trump a annoncé que sous son mandat il n’y aurait pas d’émission de dollar numérique. En premier lieu, et quelque soit ce que l’on pense de cette décision, elle souligne que toute représentation de la monnaie est avant tout une décision politique avant d’être une décision technique laissée entre les mains des banquiers centraux.

Plus précisément, les deux chambres du Congrès américain ont présenté des projets de loi visant à réglementer les stablecoins, comme le GENIUS Act, déjà mentionné plus haut, soutenu par les sénateurs Tim Scott, Bill Hagerty, Cynthia Lummis et Kirsten Gillibrand, le 4 février 2025. Les représentants French Hill et Bryan Steil ont présenté pour leur part à la Chambre des représentants, le STABLE Act, deux jours plus tard.

Chacun de ces deux textes propose un cadre réglementaire pour l’émission de stablecoins aux États-Unis. Il est à noter que de nombreuses exigences spécifiques aux stablecoins reflètent les directives publiées par le Département des services financiers de l’État de New York en juin 2022. Les deux projets sont assez similaires dans leur substance. Ils diffèrent cependant sur certains points : d’une manière générale, le GENIUS Act est plus complexe et plus précis :  il autorise davantage de catégories d’actifs dans la réserve, et prévoit le cas du traitement de la faillite.

 

Quel message passer à celles et ceux qui peuvent craindre l’arrivée de cette réglementation américaine ?  Est-ce que la protection du consommateur reste au cœur de ces projets de réglementation ?

Ce que l’on peut craindre, peut être, c’est l’effet d’attractivité de cette prochaine réglementation, alors que les Etats Unis sont déjà le pays moteur en matière d’actifs numériques. D’ailleurs, les déclarations du Président Trump sont claires : il faut faire des Etats-Unis le leader incontesté des activités numériques. S’agissant de l’Europe, cela pourrait conduire à ce que les entreprises américaines – qui sont déjà aujourd’hui dominantes sur ce marché – consolident leurs positions.

Le même risque existe pour les stablecoins en euros : les principaux émetteurs pourraient être ceux ayant déjà émis des stablecoins en dollars et qui capitaliseront sur leur savoir faire avec des émissions en euros.
C’est donc la bataille sur le Web 3 qui est lancée. On comprend dès lors mieux les projets de la BCE en matière d’euro numérique de gros comme actif de règlement dans les marchés financiers : l’enjeu se situe clairement là pour les marchés financiers qui vont, dans les 10 prochaines années, connaitre une révolution technologique entre la tokenisation des actifs financiers et le recours à la blockchain dans les infrastructures de marché. Pour l’instant, l’Europe garde encore une avance sur ce segment.

Hubert de Vauplane

Avocat

Cabinet Morgan, Lewis & Bockius

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