Pourquoi vous devriez consacrer 4 minutes à “la courbe des taux”, par Marc Tempelman, co-fondateur de Cashbee

Pas facile de trouver un titre accrocheur pour vous amener sur un sujet qui est relativement technique (yawn), financier (double yawn) et qui peut paraître sans intérêt (ronflement)…. afin d’essayer de vous faire tenir jusqu’à la conclusion de cet article, qui a pour objet de démontrer que l’observation de cette courbe peut être un indicateur précoce et très puissant de corrections de marché violentes à venir (AH !). Alors prenez une boisson caféinée, installez-vous et accordez-nous 4 minutes.

Qu’est-ce que la courbe des taux ?

Chaque pays a “sa” courbe des taux, mais lorsqu’on parle de “la” courbe des taux en Euros ou en Dollars, on fait référence à la courbe qui se dessine lorsqu’on relie dans un graphique le rendement offert par les obligations d’état allemandes – les “Bunds” – ou américaines – les “Treasuries” – sur des échéances différentes, allant du taux jour aux échéances les plus longues, typiquement les obligations d’état à trente ans. C’est d’ailleurs pour cela que les opérateurs de marché se réfèrent au “long bond” pour désigner le US Treasury à 30 ans.

Normalement, pour tout emprunteur (y compris les Etats) il est moins cher d’emprunter sur des durées courtes que sur des durées longues. En effet, les prêteurs prennent moins de risques en prêtant leur capital sur des durées courtes, car ils ont une plus grande visibilité sur la capacité de l’emprunteur de les rembourser à l’échéance de la dette et ils s’exposent moins longtemps au risque d’inflation. Il est donc logique que ceux-ci se satisfassent de rémunérations plus faibles sur le capital qu’ils avancent, ce qui se traduit dans la pratique par des taux d’intérêt plus faibles à court qu’à long terme. C’est le cas pour des individus (les taux d’intérêt sur des crédits immobiliers à 10 ans sont plus faibles que pour ceux à 15 ou 20 ans), pour les entreprises, ainsi que pour les Etats.

 

Une courbe des taux typique a donc bien la forme suivante :

 

Aujourd’hui (le 5 décembre, 2018) le rendement sur les titres de dette de l’Etat Français (les Bons du Trésor et les Obligations Assimilables du Trésor ou OATs) varie et va de -0,89% à un mois (oui, il faut payer de l’argent si on souhaite prêter de l’argent à l’Etat Français sur des durées courtes !), à 0,006% à 5 ans pour atteindre 1,61% à 30 ans. Il en résulte que la forme de la courbe des taux à tendance à être croissante lorsqu’on se déplace sur l’axe des abscisses de gauche à droite, pour aller des échéances les plus courtes vers les maturités les plus longues.

 

Bon d’accord, et ça nous dit quoi ?

Les rendements exigés par les investisseurs en obligations d’Etat, en Europe comme aux US, nous donnent beaucoup de renseignements sur leur perception de la santé économique du pays en question et de la direction attendue de la croissance économique.

Par exemple, si la différence entre les taux à court et à long terme est importante – donc quand la courbe des taux est particulièrement pentue – cela indique que les investisseurs s’attendent à ce que l’inflation et les taux d’intérêt pourraient monter significativement dans les trimestres / années à venir. C’est une situation qui se dessine notamment lorsqu’une économie est perçue comme sortant d’une récession et en croissance marquée.

Lorsque cette différence entre taux courts et taux longs se rétrécit – et que la courbe des taux s’aplatit – cela indique au contraire que les investisseurs s’attendent à une réduction de l’inflation et une croissance économique future plus modérée.

En soi, cela n’est pas si grave. Les banques centrales, dont la BCE en Europe et la Fed aux Etats-Unis, se mettent généralement à augmenter les taux directeurs quand leurs économies respectives se portent bien et l’inflation se met à croître. En augmentant ainsi le niveau des taux courts, la prime associée aux investissements en titres d’Etat plus longs se réduit. En toute logique, ces taux longs devraient alors aussi monter, ce qui renchérit naturellement le coût du (re-)financement de la dette pour tous les emprunteurs, notamment l’Etat, les entreprises et les personnes physiques. Ce dernier élément agit alors comme un frein naturel à la croissance économique (trop) forte, permettant de contenir l’inflation.

Ce que les investisseurs n’aiment pas voir sont des courbes de taux inversées, c’est-à-dire une courbe descendante. Une telle forme indique qu’un ralentissement marqué de l’économie est anticipé, constituant un scénario dans lequel l’inflation se réduirait et où les banques centrales seraient obligées de réduire les taux directeurs pour stimuler l’économie.

Depuis la Seconde Guerre Mondiale, une inversion de la courbe des taux a précédé chaque récession aux Etats-Unis. Or, le courbe des taux américaine a commencé à s’inverser au début de ce mois…..

 

Ah oui quand même. Donc il faut surveiller quoi au juste ?

L’indicateur que de nombreux économistes estiment être le plus parlant, est la différence de taux entre les obligations d’Etat à 2 et à 10 ans. Suite à la crise financière de 2008, l’écart de taux entre ces deux échéances a atteint un peu plus de 2,90% à son plus haut, au moment où l’économie américaine s’est extraite de sa récession et entamée la croissance forte des dernières années. Cette semaine ce même différentiel de taux s’est réduit à moins de 0,10%, pour la première fois depuis 2017.

Mais sur d’autres parties de la courbe, l’inversion a déjà eu lieu : le rendement sur les Treasuries à 2 et à 3 ans est maintenant au-dessus de celui à 5 ans. Et nous avons pu observer l’effet que cette évolution de la courbe des taux aux US a eu sur les marchés actions, qui ont fortement corrigé en quelques jours.

 

Alors une récession est imminente aux US ?

Attention aux conclusions trop hâtives ! Les conditions économiques aux Etats-Unis sont toujours enviables. En effet, le taux de chômage est toujours au plus bas, et le taux de croissance de l’économie reste soutenu. Il y a donc de bonnes raisons pour rester optimiste sur l’économie américaine, au moins pour le futur immédiat.

Mais comme indiqué ci-dessus, l’inversion de la courbe des taux est un signal d’alerte justement parce qu’il donne des informations sur le futur probable, et pas nécessairement sur l’état actuel de l’économie. Et il est vrai que les effets des réductions d’impôts importantes Outre Atlantique commencent à s’atténuer et que les tensions sur l’accord d’échange entre la Chine et les Etats-Unis pèsent sur le sentiment des entreprises, faisant craindre une possible réduction de leurs revenus et profits futurs.

Selon le Financial Times, se fondant sur une étude de la Deutsche Bank, depuis 1980, entre le moment où la courbe des taux s’inverse et celui où l’économie tombe en récession il s’écoule 21 mois en moyenne.

 

La courbe des taux, un de nos indicateurs favoris, mais cela reste un indicateur

Bravo, vous avez tenu jusqu’ici. On vous félicite car vous savez maintenant ce qu’est une courbe des taux et pourquoi sa forme est à surveiller de temps en temps. Son inversion est un bon indicateur d’une potentielle récession à venir. Mais aucun indicateur n’est absolu, et la courbe américaine s’est inversée au moins une fois sans que cela fut suivi d’une récession économique (dans les années 60, pour ceux qui veulent aller vérifier). En outre, le monde ne cesse de changer, donc une courbe inversée pourrait être un indicateur moins pertinent que de part le passé.

Il vous faudra donc continuer à consulter le blog de Cashbee (et d’autres bien sûr) afin d’en apprendre plus encore sur le monde de l’épargne et les facteurs qui l’influencent. Rassurez-vous, certains de nos articles sont moins techniques, voire même ludiques. En attendant, surveillez la forme de la courbe des taux de temps en temps quand même !

Marc Tempelman, co-fondateur de Cashbee