La Fintech est un sujet à la mode. Il ne peut pas en être autrement puisqu’elle bouleverse profondément, et durablement, les activités bancaires et financières et les professionnels qui les accomplissent. La Commission européenne en est consciente et vient de publier un « plan d’action sur les services financiers aux consommateurs », visant notamment à « soutenir l’essor d’un monde numérique innovant capable de surmonter les obstacles au marché unique ». La Commission lance parallèlement une consultation publique sur les Fintechs et leur régulation, présentées comme « la nouvelle frontière dans le domaine des services financiers ». Elle présentera la stratégie de l’Union européenne pour la Fintech avant la fin de l’année.
Des statuts adaptés ?
A première vue, on pourrait penser que la réglementation et son cortège d’agréments sont un frein à l’apparition des nouveaux acteurs. Cette première impression est parfois trompeuse. Il existe en effet des statuts peu contraignants que certaines sociétés Fintech peuvent utiliser. C’est le cas du statut de CIF (conseiller en investissement financier, utilisé par exemple pour certains robot-conseillers), de celui d’IOBSP (intermédiaire en opération de banque et service de paiement) ou encore de celui, plus récent, de CIP (conseiller en investissement participatif) et IFP (intermédiaire en financement participatif) en matière de crowdfunding, sans oublier toute la gamme des courtiers et mandataires en matière d’assurance, ainsi que les statuts allégés (« petits » établissements de monnaie électronique) ou exemptés (les « réseaux limités » en matière de paiement et de monnaie électronique). Ces statuts se caractérisent par un point commun : le cœur de leur activité consiste dans le conseil apporté à la clientèle, l’exécution des opérations étant le plus souvent laissée aux acteurs traditionnels, plus lourdement contrôlés.
La diffculté tient d’avantage à la compréhension de ces arcanes réglementaires par de jeunes pousses étrangères au monde bancaire. C’est là que le rôle pédagogique des superviseurs (AMF et ACPR) est essentiel, raison pour laquelle des guichets fintech ont été institués.
Notons que le phénomène de la blockchain pose, quant à lui, d’autres questions juridiques, qui font actuellement l’objet d’une consultation par Bercy (dans le cadre de la loi Sapin 2 et de l’utilisation de la technologie blockchain pour l’émission et la cession de titres non côtés).
La guerre des données bancaires
La transformation digitale des établissements bancaires et les régulations récentes conduisent les établissements financiers à bâtir de véritables stratégies autour des données, qu’elles soient internes ou externes, afin de professionnaliser la pratique de gestion de ce patrimoine et de veiller à en extraire le maximum de valeur (de l’optimisation des processus et des modèles de risque à la création de nouvelles offres de services, de monétisation… ). L’enjeu stratégique est tel que l’Autorité bancaire européenne a ouvert, en 2016, une consultation sur les « données clients » des banques, afin d’analyser les risques et les opportunités liées à l’utilisation des données personnelles par les institutions financières. Il s’agit aussi de déterminer si une nouvelle régulation sera nécessaire en plus des cadres existants déjà.
De fait, le dossier « gestion des données » est désormais prioritaire pour les banques, qui observent avec inquiétude les géants de l’Internet – Facebook, Apple, Google ou Amazon – commencer à opérer dans les services financiers. Dans le même temps, les Fintechs montent en puissance dans les services de paiement, avec les nouveaux services autorisés par la seconde directive sur les services de paiement (DSP2) : l’initiation de paiement et l’agrégation de données bancaires. Dans tous les cas, c’est bien la donnée bancaire, ou du client de la banque, qui est le nerf de la guerre.
Un risque systémique ?
Les FinTechs seraient-elles un danger pour la finance mondiale ?
Pour le Conseil de stabilité financière, institution parente du G20, la question se pose. Son président a indiqué lors d’un G20 Finances que son organisation se pencherait sur l’impact des nouvelles technologies appliquées à la finance sur le système mondial. L’organisation enquête sur les risques que les nouvelles technologies financières sont susceptibles de faire courir au système financier mondial.
Le Forum Economique Mondial (FEM) partage les mêmes inquiétudes et a appelé les gouvernements, les grands acteurs financiers, et les startups fintech à s’unir et mettre en place davantage de réglementations pour prévenir un risque systémique pour l’économie.
Sécurité, proportionnalité, égalité et innovation
Sur un ton moins alarmiste, tentons de résumer les principes fondant une saine régulation des Fintechs, dans un subtil jeu d’équilibriste.
Tout d’abord, la sécurité, qui ne peut jamais être bradée. La DSP2 rappelle ainsi que « la sûreté et la sécurité des services de paiement sont vitales au bon fonctionnement du marché des services de paiement. Il convient dès lors de protéger de manière adéquate les utilisateurs contre ces risques…» (considérant 7).
Ensuite, en deuxième place sur le podium, le principe de proportionnalité, que les superviseurs français, belges ou allemands appellent de leur voeu, et qui trouve déjà un écho dans certaines réglementations européennes. En effet, la directive MIF autorise les entreprises à recueillir un niveau d’information proportionné aux produits et aux services qu’elles offrent (mais jamais abaisser le niveau de protection dû aux clients). Ainsi, est-il raisonnable d’adapter la réglementation financière à la nature réelle des risques et à la taille des acteurs, mais sans pour autant créer de discrimination (et voici le principe d’égalité).
Enfin l’innovation, moteur de croissance, de concurrence et de bien-être, qui doit dès lors être promue par une réglementation incitative, tout en gardant à l’esprit que l’innovation n’est pas une fin en soi…
Plus d’informations : l’ouvrage « Fintech et droit – Quelle régulation pour les nouveaux entrants du secteur bancaire et financier ? », par Thierry Bonneau et Thibault Verbiest, éd. Revue Banque, mars 2017.